mardi 19 mai 2009

Mieux connaître, comprendre et cuisiner son dessinateur

J'ai bossé un certain temps dans une maison d'édition de bandes dessinées, où je devais entre autres rédiger des biographies d'auteurs. Pour ce faire, il fallait que je les appelle ou leur envoie un mail en leur posant des questions, quel est votre parcours (en général, seules deux solutions possibles, soit : j'ai toujours voulu toute ma vie faire ça et j'ai fait des études d'art, soit : je suis tombé dedans par hasard au détour d'un chemin parce que faut dire qu'à la base j'ai un DEUG de Physique-Chimie), quelle est votre source d'inspiration, votre couleur préférée, slip ou caleçon, blablabla.

Une des questions qui me paraissaient vraiment importantes était : "comment avez-vous travaillé en collaboration avec votre dessinateur/scénariste?".

En général, on me répondait "par mail". La plupart ne s'étaient rencontrés qu'une fois dans leur vie, au cours d'un festival, et puis roule ma poule. Ou alors ils ne s'étaient absolument jamais rencontrés et parfois même ne parlaient pas la même langue, alors ils s'échangeaient des mails en Babel Fish.

Srsly, wtf, dudes.

Aujourd'hui je n'arrive même pas à concevoir comment c'est possible.
Evidemment, chaque scénariste BD bosse différemment et je ne suis personne pour donner des conseils, mais j'ai une amie en ce moment qui va se lancer dans cette fabuleuse aventure qu'est le scénario de bande dessinée, et je commence à considérer ce blog "pro" comme mon Lettres à un Jeune Poète, sauf que je ne suis pas un autrichien gay.

...du XIXème siècle. Pas un autrichien gay du XIXème siècle.

C'est mieux.

Bref, les blagues avec les photos à la con trouvées sur Google Images mises à part, vous, jeunes auteurs de bédé en herbe, tendez l'oreille des yeux : je vous en conjure, bossez avec vos dessinateurs. Rencontrez-les, sympathisez, rencontrez-vous encore, parlez de l'oeuvre, trouvez un souffle commun et pondez quelque chose de vraiment bien de cette façon.
Là je parle en tant que scénariste : la personne en face, qui tient le crayon, est un être humain sentient. Pas une machine bien pratique dans laquelle on insère une feuille de scénar, et hop, y'a la planche qui correspond qui en sort. J'ai remarqué, en observant un peu le milieu, qu'on considérait trop souvent les dessinateurs comme des "faiseurs de pages", et que le "cerveau" du tandem était le scénariste. Cela vient sans doute de la tendance très française qui date des années 70 à vouloir absolument un "Auteur" unique ou du moins prépondérant sur chaque Oeuvre.

Pour moi, ça n'a rien à voir avec Krang et Shredder, c'est pas une histoire de cerveau et de sous-fifre exécutant.

-"Krang, j'ai lu ton scénario, là, et franchement, des tortues mutantes élevées par un rat géant maître de kung-fu dans les égoûts, perso, je trouve ça un peu capillo-tracté. -Ta gueule Shredder et fais-moi ces putains de planches!"

Scénaristes, votre dessinateur a énormément à vous apprendre. D'accord, c'est votre histoire, c'est votre scénar, vous avez des trucs à dire; vous tenez à ça, vous voulez garder le contrôle sur votre bébé en plantant vos ongles dedans. C'est normal.
Mais croyez-moi, ce qui risque de sortir de là au final aura beaucoup plus d'impact si vous faites taire Gollum en vous et laissez votre dessinateur exprimer aussi son opinion sur la chose. (et ne vous inquiétez pas, ça ne va pas non plus amoindrir votre rôle et vous faire vous sentir inutile)
Evidemment, je ne dis pas de tout céder et d'accepter la moindre de ses idées; si vous avez une vision, vous devez vous y tenir sans l'abâtardir ou aller dans tous les sens, mais votre dessinateur peut beaucoup contribuer à cette même vision, si vous arrivez à lui faire partager, à le convaincre que l'histoire dans laquelle vous l'embarquez sera la meilleure possible, et vous pourrez construire quelque chose ensemble.

Ça ressemble beaucoup à une demande en mariage, hein?

Au final, c'est un peu ce que c'est. Raconter une histoire pour moi est quelque chose d'extrêmement intime et puissant. La raconter à deux demande de faire confiance à l'autre personne et surtout de partager un certain esprit commun, sans parler d'un équilibre des forces. Si la métaphore du mariage vous semble un peu trop déviante, voyez-le comme... des partenaires de catch, disons.

Pas sûr que ça soit moins déviant, finalement.

Mon expérience de scénariste a commencé quand on a monté le projet Kama avec Nephyla : pendant trois ans (TROIS), elle est venue chez moi, nous en avons discuté longuement, débattu, avons eu des accrochages, des fulgurances... au final nous en sommes toutes deux venues à vouloir défendre ce projet à la vie à la mort.
Evidemment, je ne pourrais jamais repasser trois ans rien que sur l'élaboration d'un seul projet de BD, mais ça m'a appris à vraiment travailler avec une autre personne, parfois à la comprendre et parfois à la convaincre - et si c'était à refaire, je le referais sans sourciller.
Je crois aussi très fort qu'il faut proposer la bonne histoire au bon dessinateur. Virtuellement, un bon dessinateur peut tout dessiner, mais il ne sera jamais aussi excellent qu'en travaillant sur quelque chose qu'il aime et qui le fait personnellement tripper. Et pour découvrir ce qui fait bouger son monde, parlez, parlez, parlez. On a tendance à dire, dans ce métier, que si on l'a choisi, c'est pour pas avoir à s'emmerder avec d'autres gens; dans une certaine mesure, c'est vrai, c'est un boulot de vieux loup solitaire (les moins indulgents diraient : "d'autiste").
Mais dans les faits, il faut savoir communiquer. C'est la base même de ce qu'on fait, en tant que conteur. Alors même si vous êtes pas doué pour ça (communiquer, je veux dire), ben faut apprendre.
Faute de quoi il y a de fortes chances pour que vous vous retrouviez avec une oeuvre schizophrène, avec vous qui racontez votre truc tout seul dans votre coin, un dessinateur peu concerné, et une histoire qui n'aura pas atteint toute sa potentialité parce qu'au sein de votre tandem, vous ne vous serez pas poussés l'un l'autre jusqu'au maximum de vos capacités.

Hop, et un billet exagérément épique et plein de bons sentiments, un!


P.S. : Si vous vous interrogez sur le titre de ce billet qui peut effectivement paraître bizarre aux non-initiés, sachez simplement que c'est en hommage à un site très drôle qui aujourd'hui n'existe plus : "Mieux connaître, comprendre et cuisiner son chat", par l'excellent Renaud Amevet, un monsieur avec qui j'avais eu un long échange de mails, dans mon jeune temps.
Quelques extraits ont été sauvés des limbes de l'Internet par les fans : vous pouvez les lire ici et , si ça vous intrigue. Lisez aussi "A Tribute to Renaud Amevet" tant que vous y êtes, qui réunit quelques autres textes drôlatiques rescapés du site perso du bonhomme.

6 commentaires:

  1. Excellent post, et qui est valide pour tout travail d'équipe sur une oeuvre a base artistique.

    Continue comme ça :)

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  2. Si j'étais ton meilleur ami gay (tm) je pourrais laisser un commentaire du style : "Je t'aime, même si tu n'es pas Rainer Maria *squee* Rilke."

    En ma qualité de non-meilleur-ami-gay-néanmoins-complètement-d'accord-à-un-degré-inimaginable je vais me contenter de dire : merci.
    (et : encore !)

    Je pourrais aussi être prévisible *kof* et dire que c'est très vrai pour le théâtre, où peut-être la pente de l'egotrip-solo est encore plus raide.

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  3. C'est vrai que communiquer est important.

    Mais dans mon cas c'est trouver la bonne personne qui est difficile. C'est un peu comme en amour, tu vas vers quelqu'un, tu lui ouvres ton coeur (parce que tout scénario est forcément une partie de toi) et tu attends de te faire piétiner ou épouser...

    La relation que tu as avec tes dessinatrices est réellement enviable, comme un but à atteindre ; un phare dans la nuit noire et obscure de la solitude en haut de l'escalier du destin au coin de l'univers.

    Bref, tes conseils avisés sont entendus et compris, oh vénérable maître.

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  4. Yo poulette!
    Je découvre ton bloug et ma foi, jva' revenir bientôt lire la suite! ^^

    (en fait je percute que tu ne connais sans doute pas mon pseudo (moi-même découvrant le tien!)...
    Question! Attention : personnage! Je chante du Francis Lalane en duo avec Castel dans un bouchon lyonnais, je suis? je suis??? ...
    Oui ben voilà, "ames" c'est moi! ^^)

    Merci donc pour ce croustillant post sur "le dessinateur, cet animal de compagnie qu'il faut savoir écouter"! ;)

    bizbiz! à bientôt! (juillet?)

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  5. Klaim> Danke schön! ^^

    Bratha> Tu peux être mon meilleur ami gay si tu veux, tu sais! (je savais que Rilke allait te faire chavirer, mouahaha)

    Berylia> Evidemment, ça varie toujours en fonction des gens, mais les mots mariage, sacerdoce et maternité ne sont jamais de trop, de ce que j'ai pu constater ^^ Tiens bon, tu y arriveras!

    Ames> M'enfin je sais qui tu es, évidemment, je suis trop forte, tu sais, je peux te tuer avec mon cerveau, mais je ne le ferai pas, car je dois sauver le monde. Tu es la bienvenue sur ce blog, néanmoins, ça fait bien plaisir! ^^

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